« Un jour il se retourna et comprit que son errance avait tracé un chemin »

La construction du CV est un exercice conventionnel qui rebute pourtant beaucoup de personnes souhaitant synthétiser leur parcours sur un document, afin de postuler un emploi de leur choix ; c’est une opération indispensable que la majorité des recruteurs, en général, exige de la part des candidats. La solution la plus simple consiste, après une présentation des données biographiques (formations, diplômes, …), à décrire de manière chronologique les différents emplois occupés en détaillant à chaque étape de la carrière certaines activités et réalisations significatives. Une autre solution consiste à revisiter son parcours pour dessiner son profil de manière originale à partir d’une liste de compétences transférables et durables* ; il s’agit de réduire au maximum la description des emplois tenus pour faire ressortir les compétences acquises en relation avec les exigences du poste cible.

Ordonner les expériences pour présenter et valoriser son profil

Mais c’est l'image du kaléidoscope qui illustre le mieux la description du déroulement de carrière et l’énoncé des changements professionnels successifs. Pareil aux kaléidoscopes qui tournent de temps en temps, le CV place de façon différente des éléments invariants, (formations initiale et professionnelle, compétences, expériences, … etc…) et compose une figure compréhensible, la plus appropriée pour postuler l’emploi ciblé. Ces dispositions différentes du CV sont produites par un changement de critère dont l’importance varie selon les profils recherchés. Le CV a beau prétendre nous raconter, il est comme le kaléidoscope : chaque étape nous présente une expérience nouvelle, et cependant ce sont souvent les mêmes éléments d’activité qui sont décrits succinctement (exemples : encadrement d’équipe, rédaction de documents, suivi de dossiers, accueil des clients, pilotage de projets …). La logique « bricolée » par la pensée de son auteur obéit en effet à une certaine similitude avec le kaléidoscope : instrument qui contient des bribes de réalité et des morceaux de vie professionnelle, au moyen desquels se réalisent des « arrangements structuraux » qui dessinent le profil et le potentiel du candidat.

L’inventaire et le regroupement des expériences ne sauraient suffire ; il faut les compléter par un travail de rangement, de composition, car il convient de combiner ces éléments de telle manière que la vue d’ensemble forme un tout qui oriente la perception du lecteur. Car le CV recherche à fixer les représentations d’un itinéraire qui seront acceptées par les recruteurs, qui seront jugées convenables et opérationnelles au regard des attentes du futur employeur. La description des expériences est capitale parce qu’elle est la conscience des tableaux du passé. Cependant c’est l’attitude réflexive sur nos activités, nos réussites et nos échecs de notre parcours qui donne à notre voyage professionnel un caractère singulier ; nous trions les faits en tentant de donner aux autres une image qui convient au poste et qui nous valorise.

Redessiner son parcours pour (ré)inventer sa vie professionnelle

Picasso fut un des premiers peintres à rompre avec l’art figuratif (représenter le réel) en peignant sur sa toile les différentes facettes d’un même objet ou d’un personnage. L’art abstrait (composer avec le réel) veut mettre sur un même plan et accorder une place aux différentes perspectives et pensées complexes de l’artiste. Comme un peintre abstrait, le candidat, pour construire son CV, peut s’éloigner d’une approche descriptive et chronologique de son itinéraire professionnel ; il va présenter son trajet en valorisant particulièrement quelques-unes de ses dispositions et de ses aspirations, faire de son parcours une histoire de vie, un récit cohérent à partir de quelques expériences significatives, soigneusement choisies. Ces dernières veulent donner du sens à son itinéraire pour situer les états multiples de sa compétence, les différentes facettes de son talent. Dans les pays anglo-saxons, les CV des candidats développent certaines expériences, décrivent des réalisations importantes ; ils ne se limitent pas à lister de manière exhaustive et chronologique les différentes séquences du parcours professionnel. Comme des écrivains qui s’inspirent de personnages historiques pour rédiger leur roman autour d’événements clés de la vie de ces derniers, les CV par compétences exploitent quelques faits avérés, mettent en valeur certaines dimensions du parcours, en estompent d’autres ; ils relient et explicitent tout à la fois les valeurs fondamentales qui les guident - la posture - et les dimensions pratiques - les réalisations.

Jouer des compétences pour évoluer

En réfléchissant au sens que l’on veut donner à sa carrière, en racontant son parcours, le récit proposé permet de communiquer de manière authentique une part de son identité, une idée de son projet. Ceci implique de reconnaître ses objectifs professionnels et ses ambitions, de choisir au préalable l’image professionnelle que l’on souhaite donner à son profil, afin d’agir de manière cohérente et donc d’influencer favorablement le positionnement. Aborder son parcours par le biais de la compétence peut éviter bien des écueils en offrant une vision plus dynamique et personnelle ; en effet, au-delà d’identifier ses talents, il convient de se représenter la singularité de son rapport au travail en convenant du « personnage » que chaque individu veut jouer dans son emploi. « Jouer des compétences* », c’est disposer d’une capacité de recul et de décalage qui permet de mieux saisir l’enjeu de la situation professionnelle et comment on peut agir autrement qu’en ravivant des vieux schémas.

L’homme devient acteur de sa vie professionnelle, quand il choisit « un personnage », à la fois cohérent avec sa personnalité et avec sa fonction. Dans certains cas, l’individu est en décalage avec le rôle qu’il s’est choisi, ce qui signifie qu’il n’est pas dans son élément, qu’il n’a pas trouvé sa place, qu’il est « dans l’imposture » dans cet emploi ; dans d’autres cas, il est totalement en phase avec le personnage qu’il a adopté, il est « dans sa posture », il semble voué à cette destinée. A nous de décider des personnages qui sont en accord avec ce que nous sommes ; car il faut savoir créer un lien, une complicité entre son rôle professionnel et sa personne : « Soi-même comme un autre », pour reprendre la formule de Paul Ricœur, signifie que nous pouvons pratiquer une sorte de dédoublement qui permet de situer sa valeur ajoutée, d’identifier sa singularité au travail, de donner un sens à son expérience professionnelle. La méta-compétence désigne cette capacité d’un individu à analyser sa manière de faire lorsqu’il met en œuvre un savoir-faire, elle se développe à mesure que la capacité de réflexion se renforce ; elle signe sa maturité professionnelle.
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Curriculum vitae* : Mots latins signifiant « déroulement de la vie »

Compétences transférables et durables* : (selon l’expression de Jean-Marie Dujardin), ce sont « des compétences spécifiques attachées à une situation professionnelle donnée (métier, secteur ou organisation) mais qui peuvent être mises en œuvre dans un autre contexte professionnel ».

Jouer des compétences pour évoluer* et s'orienter ; Construire son parcours professionnel avec l'archipel des compétences, Jean-Marie Breillot, ESF, 2019

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