Pourquoi le pessimisme français est-il si prégnant ? Pourquoi une telle propagation du désengagement ?

Si l’on considère le désengagement comme une faute individuelle, nous risquons de fortes culpabilisations qu’un développement personnel n’atténuera que piètrement.

Si l’on considère le désengagement comme un état, la découverte d’un facteur causal collectif prépondérant peut advenir par le développement interpersonnel.

Qu’entend-on par « développement interpersonnel » ?

Consultons Chateaubriand : « Le ciel fait rarement naître ensemble l’homme qui veut et l’homme qui peut ».

  • Pour l’entreprise, cela voudrait dire :
  • que l’intelligence intra-personnelle – « moi, moi, et rien que moi !» - ne résout plus rien et ne résoudra jamais plus rien en complexité ?
  • Que tout ce que l’on fait seul, nous croyons le faire seul, mais qu’en réalité, nous le faisons au moins à deux ?
  • Que pour qu’une personne agisse et donne le résultat, il est indispensable qu’elle soit inspirée et mobilisée par une autre qui lui donne le sens (direction) et la signification ?

Chez nous, pendant qu’on sanctifie l’esprit de compétition, au point qu’à l’ENA, on croit inéluctablement que collaborer c’est tricher, les petits scandinaves, eux, apprennent à coopérer en collectif, dès l’âge de deux ans.

Le “manager itératif”, celui là même qui fait réussir ceux qui auraient réussi de toutes les façons sans lui, sera implacablement remplacé demain, par un algorithme.

Lui survivra, celui qui saura mettre en joie, enthousiasme et curiosité un collectif; celui dont le premier talent sera d’en trouver aux autres.

Dorénavant, qui peut prétendre comprendre seul ce qui est tissé ensemble - complexus en latin - sachant qu’on nous informe que la connaissance universelle double tous les 7 ans.

L’intelligence interpersonnelle est totalement ignorée en France.

Et si c’était au manager, à tout type de manager, à tous ceux qui ont un pouvoir sur les autres de progresser pour faire réussir ceux qui sont en panne motivationnelle sur le bord de la route ?

POURQUOI EN SOMMES-NOUS LA ?

1/ LE MANAGER EVALUE – très approximativement - SES COLLABORATEURS

Prenons le cas de Julien, un manager qui dirige 7 personnes en direct. C’est la période des entretiens annuels. Il redoute l’exercice et comme il a peur de mal faire… il fait mal, en se cachant à lui-même sa propension à la procrastination.

La veille des premiers entretiens, le PSG, son équipe favorite, a perdu. Pas de chance pour Adrien, son souffre-douleur attitré !

Aujourd’hui, deux premiers entretiens se sont déroulés sans anicroche, mais l’ont retardé quant à son plan de travail. Il est 13H50 et son troisième rendez-vous avec Adrien s’éternise ; il n’a pas déjeuné.

Il est censé suivre une grille d’évaluation avec un questionnaire clinique dûment construit et estampillé par un cabinet réputé. Il va quelque peu s’en affranchir, car il a faim et son humeur est carnassière. Qui n’est pas pressé d’en finir quand il n’aime pas ce qu’il fait ?

Julien est d’un naturel bienveillant et positif quand il n’est pas poussé dans ses retranchements, ce qui est hélas le cas aujourd’hui.

Julien ignore que son évaluation est comme un lancer franc au basket – jamais identique –. Il ignore aussi que dans un réflexe de survie, il imputera à Adrien une part de responsabilité dans la journée pourrie qu’il traverse sans joie.

Adrien en sera quitte pour redemander une augmentation l’année d’après, s’il est encore là, ce qui devient de plus en plus improbable en 2022, passant de la case du démotivé chronique – celui qui travaille une fois sur deux quand il se sent observé -, à la case de l’activement démotivé – celui qui est dans l’intention de rendre la monnaie de sa pièce à ce maudit Julien – .

Nous identifions ici la face cachée de l’erreur de jugement, qu’on appelle « bruit ». Le bruit est partout, dès lors qu’une opinion diverge d’une autre. Cette variabilité des erreurs de jugements affecte considérablement le résultat des entretiens annuels et autres actes managériaux…

Les enseignants de philo en sont là, eux aussi, qui lisent et notent les dissertations une à une, alors qu’ils élimineraient tellement d’erreurs de jugements en classant et comparant toutes les copies de la meilleure à la moins bonne.

Voilà sans doute un début d’explication de ce qu’il y ait moins de 20% des salariés qui accordent de l’importance à leur travail, quand ils étaient 70% en 99.

En aucun cas, l’évaluation d’un manager vaut raison et il semble que nous soyons tous sensibles à l’incohérence managériale, la toute première cause de résistance au changement.

Et si, pour améliorer l’engagement collectif des salariés, on songeait à faire progresser ceux qui remettent en cause sans jamais s’interroger sur eux-mêmes.

2/ LE MANAGER S’AUTO-EVALUE ….MAL

Reprenons notre Julien. Il est victime d’un double paradoxe qui le porte à la surestimation de lui-même.

  1. Pour mesurer l’incompétence, il faut être soi-même compétent
  2. L’ignorance rend plus sûr de soi que la compétence

Ce que nous décrivons porte le nom de biais Dunning-Krüger. C’est un biais cognitif universel qui dit 4 choses différentes :

  1. Le manager Julien surestime son niveau de compétence
  2. Le manager Julien ne voit pas la compétence chez Adrien
  3. Le manager Julien ne voit pas son degré d’incompétence
  4. Le manager Julien peut s’améliorer par la formation

L’auto-évaluation d’un manager le pousse toujours à l’indulgence envers lui-même.

Bien que nous soyons 90% à penser que nous sommes meilleurs managers que la moyenne – cherchez l’erreur ! – et même si nous pressentons que c’est faux -, nous n’en continuerons pas moins à le penser AVEUGLEMENT, dans une pulsion de survie darwinienne.

Daniel KAHNEMAN – Prix Nobel d’économie – NOISE. Ed. O. Jacob – a prouvé la causalité entre absentéisme et management, si certains en doutaient encore.

Ne croyez-vous pas qu’en plus d’offrir des cours de diététique, de sport, de yoga, de dispenser de la joie grâce à un chief happiness officer pour atténuer les conséquences d’un stress qu’il promeut lui-même – ce qui est bien sûr pertinent et efficace – , il pourrait être efficient que le manager révise ses pratiques humblement ?

L’efficacité endort la douleur; l’efficience l’éradique.

Et s’il changeait son propre management au lieu de manager le changement des autres ?

  • Engagement positif ou négatif

En outre, le manager confond allègrement motivation positive – l’envie d’aller vers… – et motivation négative – l’envie de s’éloigner de…

Le manager qui ne veut pas voudra toujours moins fort, moins vite et moins longtemps que celui qui veut.

Et en plus, ne pas vouloir quelque chose, c’est y aller tout droit.

Qu’arrive-t-il au Président qui brandit un tonitruant : « N’ayez pas peur ! »

et au moniteur d’auto-école qui lance : « Ne freine pas dans le virage »

et à l’entraineur de foot qui s’exhorte lui-même : « Je ne veux pas descendre en ligue 2 »

Et si, pour améliorer l’engagement des salariés, on songeait à encourager l’humilité de la ligne managériale !

3/ LA GOUVERNANCE EVALUE MAL LE MANAGER

Paul MEEHL, professeur de psychologie provocateur, se demandait à quoi pouvait bien servir un cabinet de recrutement !

Il disait que les cliniciens font montre d’une faiblesse inquiétante là où ils croient que réside leur force dans la capacité à synthétiser des informations multiples. Selon lui, les études le prouvent : l’évaluation clinique sera toujours surpassée par l’agrégation mécanique.

Il nous disait aussi que les cabinets croient appréhender la complexité et ajouter de la subtilité quand ils évaluent et produisent des jugements. Mais, la complexité et la subtilité améliorent rarement la justesse des algorithmes simples.

Le moindre modèle numérique aléatoire fera toujours mieux qu’un être humain.

En 2022, la tendance est au feed-back développemental tourné vers l’avenir plutôt que sur l’évaluation des performances passées (la motivation positive vue plus haut).

Et si, pour améliorer l’engagement d’Adrien et de ses 6 collègues, on songeait à comparer leurs appréciations individuelles avec celle que se fait Julien de ses propres pratiques managériales !

Le manager d’hier avait une légitimité de droit pour exiger que l’on s’adapte à lui; le leader de demain aura une crédibilité de fait en sachant s’adapter à une multitude d’électrons libres. Il devra être agile en anticipation pour promouvoir en permanence un engagement des hommes qui s’effiloche naturellement.

On sait maintenant qu’une comparaison mécanique élimine 50% des erreurs de jugements des appréciations individuelles obtenues cliniquement.

Et si l’on demandait aux millenials spontanément ouverts et curieux de nature, de pousser les managers à l’orgueil bien trempé dont l’objectif permanent est de ne pas changer, d’accepter enfin la comparaison entre eux ?

C’est aller dans le sens de l’histoire de l’ubérisation de la société: les consommateurs notent les producteurs; les citoyens jugent leurs dirigeants; les salariés contestent leurs hiérarchiques...

Notre algorithme « à quel point êtes-vous leader » fait voler en éclat l’idée reçue : « comparaison n’est pas raison » et démontre que c’est l’évaluation qui ne l’est pas.

Et si on s’employait à l’humilité, à l’humour? On sait que ces deux soft skills boostent l’immunité et diminue la sécrétion d’hormones du stress.

Tags: Engagement Leadership Agilité Absentéisme