Se libérer des mythes étrangers et déconstruire une façon de penser qui ne nous appartient pas !

Qu’est-ce qui distingue un tueur d’un individu « normal » ? On le sait toujours trop tard… Nos entreprises ne sont pas plus à l’abri que ne l’était Charlie Hebdo ou l’université de Kaboul dont 19 étudiants ont été tués en 2020 le lendemain de la fête des morts. Comment repérer si l’on se trouve exposé aux risques quand on se rend confiant à l'école chercher son enfant ou prendre un colis à la Poste ? Comment redevenir lucide dans une situation qu’on ne discerne plus ?

On apprend à se méfier de ses émotions mais pas de soi

La France a vécu des périodes bouleversées où la délation était devenue une obligation civique. On connaît les conséquences désastreuses de cette méfiance institutionnalisée. N’a-t-on jamais appris à se méfier de soi ?

En entreprise, on apprend à faire barrage à un comportement émotionnel qui serait mal reçu par la hiérarchie, ce qui pourrait entamer ses chances de progression professionnelle. Les mots comme les sentiments animent désormais un langage intérieur. L’émotion n’a pas cours dans nos entités de production pas plus que dans nos sociétés libérales. Et pourtant, de l’affect naît la créativité comme les passages à l'acte : l’affect, c’est de l’énergie ! Notre éducation logique et rationnelle condamne le débordement affectif. Le 3 novembre 2020, un ministre et pas le moindre celui de la santé, « a pété les plombs » à l’Assemblée Nationale. Sous le coup de la visite à hôpital de deux jeunes hommes dans un état grave pour cause de virus, le ministre est rentré dans la vraie vie, celle de l’appropriation affective de la réalité de la situation sanitaire. De retour dans l'hémicycle, sans doute n’a-t-il pas supporté l’écart entre le discours logique et rationnel des élus devenu incongruent pour lui, et la force du souvenir ancré de ces vies menacées à l’hôpital. Il est passé à l’acte.

Quand les Sujets se transforment en objets…

La virtualisation de la pensée logique et rationnelle empêche de voir, d’écouter et de ressentir les personnes dans le besoin, elles sont objectivées pour mieux traiter leurs cas. Les Sujets prennent la nature d’objets. Lors d’un précédent conflit réputé « propre[1] » les lanceurs de missile ont appuyé sur le bouton rouge pour tuer des hommes et des femmes à des milliers de kilomètres de là. Ils les « connaissaient » sur écran et partageaient leur vie depuis plusieurs semaines ; y compris leurs moments d’épanchement sexuel filmés avec la caméra infrarouge. Un jour la hiérarchie a demandé à l’un d’entre eux d’appuyer sur son bouton rouge. Là-bas, très loin de chez lui, des gens ont explosé sous l’effet de la bombe lancée par un drone. Au service de la Sécurité Militaire, le soir comme tous les soirs, les bons pères de famille sont rentrés chez eux souper avec femmes et enfants.

L’emprise du numérique a converti le discernement

Par la multiplication et la fréquence d’utilisation de ses outils, la noosphère numérique est devenue omni présente et a colonisé les esprits. Son trop-plein d’information au quotidien a inondé les catalogues individuels de données et d’expériences. Dans une situation où le système de fonctionnement cognitif détecte une connivence entre un de ses éléments et le répertoire de savoirs du Sujet, comme toute autre connaissance, celles qui ont été implantées à son insu seront mobilisées et interviendront en toute autonomie[2]. Sans qu’il en soit lucide, ce phénomène rendra son discernement dépendant de l’aliène.

Celle emprise numérique trouve sa force dans les désirs et les craintes. Et à l’heure actuelle, entre covid et actes terroristes, les circonstances sont propices à l’imprégnation des facultés. Certains rétorqueront que « Nous sommes des êtres libres de penser et d’agir. Et que d’aucuns sont morts et meurent encore pour la liberté ! » Qu’en est-il en réalité ?

Le discernement n’est plus lucide !

La liberté s’exprime déjà dans la satisfaction de nos pulsions[3]. À travers l’imaginaire, la créativité corollaire de la liberté assouvit un désir et non un besoin. La toile satisfait-elle les désirs ? Les communautés virtuelles véhiculent des comportements qui ne sont pas des valeurs. La solidarité virtuelle est un comportement, ce n’est pas une valeur. Le but de vie que chacun poursuit a pour socle des valeurs telle la justice ou l’honnêteté. Celles-ci fabriquent sa vision du monde et le rôle qu’il souhaiterait y tenir… quand l’individu est devenu peu ou prou incapable de développer une perspective intérieure indépendante, phagocytée qu’elle est par le matraquage numérique ! Le discernement n’est plus lucide !

Pourtant nous avons conservé le sentiment de pouvoir discerner le vrai du faux, sans avoir eu la possibilité de trier ce qui nous appartient de ce qui a été implanté à notre insu…

La prison des mythes étrangers

Sans doute est-ce la raison pour laquelle, des personnes endoctrinées pensent encore pouvoir faire preuve de discernement dans leurs actions. Elles ignorent la greffe des mythes étrangers sur leur mode de fonctionnement interne… Dans la virtualisation d’une subjectivation de la pensée désormais atrophiée ou absente de leur réflexion, elles éradiquent des cibles. Elles ne sont pas lucides que la liberté d’esprit leur a été confisquée. Elles sont devenues prisonnières des mythes implantés ; satisfont un objectif immédiat qui n’est pas le leur, tout en croyant qu’elles sont libres de le faire…

L’incapacité des tueurs devenus otages de leur croyance ne supporte pas les caricatures satiriques d’un journal. Serions-nous exempts de ce manque de lucidité ?

En entreprise, compétences et savoirs sont fortement mobilisés. L’engagement d’un salarié pour un résultat satisfait un objectif de performance et fait appel à ses habiletés ancrées ; quand la liberté d’esprit satisfait un but… Chez les créatifs, le développement de l’intuition est encouragé dans l’ignorance (?) que les capacités du savoir ne sont pas mobilisées dans le même cerveau que celles de l’imaginaire. Désormais entre les cerveaux de l’individu, s’installe un conflit entre la satisfaction de sa pulsion et son obéissance à la prescription du travail.

Le discernement relève du collectif quand la lucidité est individuelle

Dans notre société, la croyance forte dans les valeurs a fait oublier que le discernement s’opère en fonction de ce qui a été engrangé sans qu’on ait pu en opérer le tri. Les contraintes sont nombreuses et fréquentes, tel le « pas de vague » dans les organisations qui réduit les mots singuliers à l’expression d’une pensée groupale. Dans des domaines variés de l’existence, de nouveaux mythes sociétaux ont remplacé les anciens : végan contre alimentation carnée, électricité contre énergies fossiles ou recyclage contre consommation des objets. L’intention de ces nouvelles injonctions met en avant « un bon sentiment », comme la préservation du climat ou une meilleure hygiène de vie. Sauf que le Sujet n’a pas décidé ou construit la façon de s’y prendre en toute lucidité.

L’organisation sociétale a façonné les comportements y compris ceux des déviants, auteurs ou politiques, en leur apportant une reconnaissance dans le cadre institué, et parfois une récompense. Alors, ils y sont rentrés ; comment y résister ?

L’incongruence de l’espace et du temps

Quand d’autres modes agricoles alternatifs ont fait leur preuve un peu partout dans le monde, le Danemark projette d’éradiquer plusieurs millions de visons d’élevage. Ils ont été désignés comme responsables d’entraver la lutte contre la covid. L’espace réduit de leur concentration et la contrainte accélérée de leur production sont censées justifier les élevages intensifs comme les seuls capables de nourrir une population toujours plus nombreuse. Quelle est donc cette incongruence ?

Aujourd’hui en France, des personnes mortes du virus ont moins de 30 ans et l’on pointe en priorité « les vieux » (plus de 65 ans) alors que la guerre des présidents aux USA a opposé deux septuagénaires ! Cette mise en catégorie est terrifiante, elle isole les individus. Désormais « les vieux » sont montrés du doigt car leur long temps de vie les accuse d’être malade…

Que vive l’utopie qui libère l’esprit !

Depuis des générations, l’histoire et la culture nous a façonnés. L’apport éducatif des Voltaire, Platon ou Marie Curie a été dilué dans l’abrutissement informatif de la noosphère numérique où la succession des évènements est plus intense que celui de la fiche du marteau-piqueur sur la chaussée en béton…

Reconquérir sa lucidité consisterait déjà à renverser par terre les tiroirs de l’esprit dégorgeant d’une pensée réductrice car pléthorique : elle ne nous appartient pas ! Puis à sélectionner ce qu’on souhaiterait conserver. Parmi tout ce fatras de données, les questions du tri sont simples : « Qu’est-ce qui me rend heureux ? Qu’est-ce qui résonne vraiment avec qui je suis ? Qu’est-ce qui me fait sens ? »

Utopique ? Sans doute ! A ceci près que l’utopie n’est jamais que ce qui n’est pas encore réalisé[4] !


[1] Le conflit contre l’Irak

[2] Cf. les travaux de Gérard Vergnaux en didactique professionnelle

[3] À lire, sans hésitation, l’excellent livre d’Henri Laborit, « L’éloge de la fuite »

[4] Paul Valéry

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