Qui a observé une vache ruminer connaît le secret de la compétence

Le quotidien de la vache, c’est manger de l’herbe arrachée, mastiquée, ruminée ; au pré, un bovin rumine de 8 à 12 heures par jour. Son appétit l’entraîne à avancer, pas à pas, mètre carré après mètre carré, à rechercher l’herbe verte remplie de glucides, de protéines, de minéraux et de quelques lipides. Digérés, ces élément sont ensuite stockés dans le foie et les muscles ou directement utilisés comme source d'énergie. Mais la singularité de sa digestion, c’est la rumination qui correspond à l’action de ramener dans la bouche, pour les mâcher, les aliments qui ont déjà séjourné dans la panse. Par ce processus de digestion, la vache transforme la matière végétale en énergie vitale pour elle-même et en source de protéine pour des carnivores.

La compétence c’est aussi de l’expérience capitalisée, organisée, transformée en énergie, en potentiel d’action, en capacité : « le savoir n’est qu’une rumeur tant qu’il n’est pas dans le muscle » dit un proverbe africain. En exerçant une activité, une personne va se rendre compte que son savoir-faire peut (ou ne pas) être adaptée aux exigences de la situation, avant d’ajuster sa manière de faire ; Après de nombreux essais, après plusieurs expériences, le geste professionnel devient spontané, fluide ; la conscience s’efface et l’énergie se libère. L’apparente élégance du professionnel en situation est un signe que la compétence s’est installée.

Les expériences sont capitales pour capitaliser la compétence

« Un jour il comprit que son errance avait tracé un chemin » Parole d’un ancien

Pour que l’expérience devienne compétence, la personne doit comprendre comment elle fait pour réussir ; les savoirs, les connaissances viendront donner du sens à l’acte professionnel. Parce qu’il a réussi à vendre un produit à un client, le commercial doit s’interroger sur sa manière d’agir, mettre en perspective ses savoir-faire, au risque de ne pas reproduire la performance l’entretien suivant. La compétence ne se limite pas au but à atteindre, à la réalisation de la performance, mais suppose une conscience, une attitude réflexive à propos de la situation de travail. C’est l’objet de la Validation des Acquis de l’Expérience - VAE - qui vise à transformer l’expérience en compétences validées, à développer l’employabilité des personnes qui s’y engagent. En prenant du recul sur leurs compétences acquises, les candidats sont invités à réinterroger leur parcours, à identifier des souvenirs marquants, à « digérer » les épreuves de leur vie professionnelle. Au-delà de la reconnaissance sociale, les effets bénéfiques de ce dispositif concernent l’énergie qu’il libère chez tous ceux qui font cet effort de « rumination ».

Par l’exercice de formulation, de reformulation, l’individu donne un sens à sa compétence. En verbalisant l’action, nous gardons la trace sémantique indispensable à la mémorisation : les formulations façonnent nos schémas mentaux qui organisent les nouvelles informations en mémoire, favorisent la consolidation du souvenir et facilitent l’anticipation du futur et la projection dans l’avenir. Parce qu’elle est définie comme un processus, un mouvement, une dynamique, se pose la question de la meilleure manière de formuler une compétence. La mise en perspective de ses aptitudes à travers le récit de quelques expériences significatives de son parcours constitue le meilleur moyen de parler de soi, d’accéder à son identité professionnelle et d’en communiquer la singularité. C’est ce travail qui donne au bilan de compétences sa vertu principale ; le consultant à l’écoute, peut amener l’individu à revoir sa situation, à affiner son diagnostic de manière à situer avec lucidité l’écart entre sa réalité et ses représentations.

Parfois décrite à partir des ressources mobilisées (savoir, savoir être, savoir-faire) ou bien en précisant le résultat attendu, la compétence n’est que partiellement qualifiée. L’assimilation des compétences passe par la rumination. « Ruminer » son passé, ses expériences, bonnes ou mauvaises, ce n’est pas se laisser emporter par la nostalgie, ni se morfondre en regret ou en remord, c’est surtout capitaliser et valoriser ses expériences pour les transformer en puissance d’agir, en compétence. Nietzsche écrivait : « Il y a de bons ruminants » qui savent exploiter les expériences du passé pour augmenter « leur puissance d’exister ».

Habiter ses compétences, ne jamais s'y habituer

« Le pire ennemi de la connaissance ce n’est pas l’ignorance, mais l’illusion de la connaissance » Stephen Hawking

En réalisant lui-même son diagnostic, l’individu réfléchit à sa manière de faire, mais aussi à d’autres pratiques ; pour prendre conscience, il doit être confronté aux exigences de la situation ; véritable « coach » de son équipe, le manager, après avoir fixé l’objectif, amène ses collaborateurs à réfléchir, à améliorer leur pratique et leurs compétences, il accompagne la progression professionnelle des personnes. Et les compétences, si elles sont exprimées dans un langage commun, enrichissent le capital de l’organisation. L’attention portée à la personne n’exclut pas la mise « sous tension » qui amène cette dernière à s’interroger ; c’est une condition pour mobiliser son potentiel. Dans cette étape d’assimilation de la compétence, par un questionnement ouvert et neutre, le manager « coach » facilite la prise de conscience et permet à la personne de relativiser son point de vue, sa manière de faire. Celle-ci prend progressivement du recul par rapport aux données de son travail ; ce qui permet de gagner en compréhension sur les situations qu’elle a vécues et d’en tirer des enseignements, de l’expérience. Elle met des mots sur ses acquis, ses sources de difficulté, et peut déterminer les objectifs de progression et de développement les plus adéquats. Cette instabilité provoquée par le questionnement, facteur de stress, bouscule ses repères, met en jeu la propre stabilité émotionnelle de l’individu. Ensuite, cette charge affective devient énergie, car elle accroît sa sensibilité, son émotion oriente son « désir », ouvre une possibilité d’action, représente une source d’ajustement.

Il faut penser le geste professionnel comme un « éternel recommencement » ; par la connaissance des choses, par le processus de prise de conscience, la personne va régler le sens de son effort pour s’adapter. Ceux qui ont très tôt une vocation, disposent de cette faculté à remettre régulièrement en question leur manière de faire, pour rechercher la perfection. La formule célèbre de Nicolas Boileau résume bien cette idée : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ; polissez-le sans cesse et le repolissez ; ajoutez quelquefois et souvent effacez. Le talent n’est qu’une aptitude qui se développe. »

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