Depuis Milton Friedman, la cause semblait entendue : l’entreprise n’a qu’une finalité, créer de la valeur pour l’actionnaire en maximisant son profit.

Mais avec cette seule logique, les organisations peuvent s’inscrire dans des logiques autocentrées, ne prenant pas en compte une partie des coûts sociaux ou environnementaux qu’elles génèrent. Agrégés, ceux-ci ont désormais une ampleur sans précédent pour la collectivité, au point que certaines conséquences sociétales pourraient être irréversibles.

Quelle est la finalité de l’entreprise et son utilité dans la Société ? Avec les évolutions en cours, les organisations doivent construire des réponses nouvelles et les initiatives allant dans ce sens se multiplient. Ainsi, en août 2019, les PDG de 181 des plus grosses entreprises américaines ont publié un manifeste affirmant leur volonté de diriger désormais leurs organisations en investissant dans leurs employés et en protégeant l’environnement au travers de pratiques durables.

La raison d’être d’une entreprise

Une des voies ouvertes à l’entreprise pour réorienter ses choix est de formaliser sa raison d’être, cause véritable et profonde de son existence, puis d’œuvrer à mettre en cohérence ses pratiques avec cette finalité.

Prenons quelques exemples, OpenClassrooms, plate-forme de cours en ligne, se fixe pour mission depuis ses origines de « rendre l’éducation accessible à tous. » Le Groupe Ïdkids (Okaïdi, Jacadi, etc.) considère que sa finalité est « d’entreprendre pour que le monde progresse au service de l'enfant qui grandit ». National Geographic veut « inspirer les personnes pour leur donner envie de prendre soin de la planète. » Nutriset estime « qu’apporter des propositions efficaces aux problématiques de nutrition et de malnutrition » est au cœur de son activité.

Sur le plan du droit, les États-Unis ont rapidement pris en compte l’aspiration de certaines organisations à dépasser la recherche du seul profit en créant les statuts de Benefit corporation, de flexible purpose corporation et de low-profit limited company. En France, depuis la loi PACTE (Plan d'Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), le Code Civil indique que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. »

Sachant que l’entreprise peut bien sûr engager cette réflexion sur sa finalité et réorienter ensuite ses actions en conséquence sans pour autant changer ses statuts.

Et les RH là-dedans ?

Les RH sont impactées de plusieurs façons par cette question de la finalité de l’entreprise. Si l’entreprise prend en compte l’ensemble de ses impacts sociétaux, elle centrera son approche sur le développement de la personne au travail, à l’opposé de la notion de salarié-kleenex. La communauté d’intérêt entre l’entreprise et ses collaborateurs en sera renforcée.

Par ailleurs, les individus sont eux-mêmes à la recherche d’une raison d’être : « à quoi est-ce que je sers au travail ? » Les travaux de Frederick Herzberg mettaient déjà en avant dans les années cinquante la réalisation de soi-même comme premier facteur de motivation des employés. Toutes les enquêtes sociologiques récentes montrent qu’elle passe par une réponse à leur quête de sens. Pour beaucoup, cette question devient centrale dans le choix d’un employeur. La crise sanitaire a encore renforcé cette aspiration.

Enfin, le fait de se repenser en lien avec ce qui se joue dans la Société permet à l’entreprise d’être porteuse d’une conscience collective. Or nous sommes passés d’une société de masse à une société d’individus isolés. Qu’est-ce qui fait que nous « faisons collectif », qu’il y a convergence entre les individus ? L’entreprise répond alors à ce besoin en solidifiant le lien social au service d’un enjeu. Les dirigeants du Groupe Yves Rocher soulignent ainsi l’impact de leur mission sur l’engagement des collaborateurs : « Chaque jour, nous nous engageons pour la beauté des femmes et le respect de la planète. »

Comment formaliser cette raison d’être ?

Plusieurs écueils doivent être évités :

  • En rester à une approche logique, ne relevant que du rationnel, du cerveau gauche.
  • Confondre métier et raison d’être : le Cirque du Soleil a pour métier la création, la production et la diffusion d’œuvres artistiques, tandis que sa mission est d’invoquer l’imaginaire, de provoquer les sens et de provoquer l’émotion des gens autour du monde pour leur faire vivre de nouvelles expériences.
  • Limiter la raison d’être à un slogan.
  • Rester flou et large, alors que la raison d’être doit être segmentante et permettre d’opérer des choix stratégiques et opérationnels.

Pour permettre la transformation effective, la démarche devra associer l’ensemble des salariés, avec le réseau social d’entreprise ou à défaut des outils simples accessibles à tous. Il s’agira d’expliquer en amont à quoi servira le résultat, en donnant des exemples d’applications concrètes. Cet exercice de créativité sera amené à partir d’une question : « À quoi voulons-nous être utiles ? » ou « Qu’aimerions-nous apporter à la Société ? », en incitant les collaborateurs à se lâcher : c’est leur rêve qu’il s’agit d’exprimer. Sachant que l’entreprise ne doit pas chercher de prime abord à tout capturer en une phrase, mais à recueillir des idées et des termes qui encapsuleront une partie de la raison d’être. La raison d’être formulée sur la base de ces éléments prendra une forme simple et sera communiquée largement.

Les étapes qui suivront

Il s’agira ensuite d’aligner les choix business et les actions du quotidien sur la raison d’être, en travaillant sur leur cohérence. L’entreprise œuvrera à la faire vivre effectivement par tous. Elle identifiera et mènera les transformations à impulser dans la culture de l’entreprise. Enfin, elle en assurera le suivi, en traitant la question de la gouvernance et des indicateurs de gestion.

Après la cession par le groupe AccorHotels de l’entité AccorInvest, en charge de l’immobilier mais aussi du portage des salariés des hôtels, cette entité nouvellement indépendante s’est interrogée sur son identité et a souhaité initier un chantier permettant de la formaliser. La clarification pour tous des deux métiers d’AccorInvest, l’immobilier et l’exploitation des hôtels, a permis de poser les bases de la démarche. C’est ensuite qu’un chantier a été initié pour partager avec les collaborateurs les éléments de sens et définir ainsi la mission de cette nouvelle organisation. Ces travaux ont conduit à formaliser la raison d’être d’AccorInvest, « Construire ensemble des lieux et des moments de bien-être et de lien social pour tous. » À partir d’un partage très large de ces éléments, l’entreprise a pu ensuite revisiter l’ensemble de ses politiques à l’aune de cette finalité.

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