L’expérience collaborateurs : quelle place pour l’émotion dans le parcours RH ?

Confrontées à une pénurie de talents, les directions d’entreprise se préoccupent de plus en plus du ressenti des collaborateurs vis-à-vis de leurs situations de travail. Définie comme l’ensemble des interactions vécues tout au long de leur parcours, l’« expérience collaborateurs » est un concept intéressant à double titre.

1. Il offre une vision globale du vécu des collaborateurs depuis leur entrée jusqu’à leur départ de l’organisation et souligne l’impératif de cohérence et de continuité des actions RH.

2. Il ouvre en grand la porte de l’émotion au travail, vraie nécessité quand on voit à quel point le travail interpelle toute la personnalité, exigeant une adaptation permanente ainsi que l’adoption de postures appropriées dans la relation à autrui (clients, fournisseurs, collègues, etc).

Le concept d’expérience collaborateurs prend racine dans un autre concept utilisé depuis longtemps en marketing, celui d’« expérience clients » qui correspond à « la trace laissée dans la tête des clients » (1) par l’ensemble des interactions qu’ils ont pu avoir avec la marque ou l’entreprise lors de leur parcours d’achat. Car l’acte d’achat ne se réduit pas à un simple geste de consommation. L’interaction commence dès la première visite (dans un magasin ou sur un site internet) jusqu’à l’éventuel retour du produit, en passant par la comparaison, l’achat, la livraison, l’utilisation. À toutes ces étapes, qui représentent autant de « moments de vérité », il s’agit d’imprégner les clients d’une interaction spécifique qui favorise leur attachement à la marque. Nombre d’entreprises transforment ainsi leurs lieux de vente en lieux de vie, d’échanges, de spectacles, pour se différencier et donc jouer sur autre chose que le prix. L’enjeu est-il comparable pour l’expérience collaborateurs ? S’agit-il de faire vivre de belles émotions pour que les travailleurs n’aient pas le salaire comme seul point d’attache à l’entreprise ?

Faire vivre des expériences touchantes

La culture cartésienne qui imprègne le monde sérieux de la gestion peut nous faire croire que seul l’esprit est à l’œuvre. En vérité, on a besoin de vivre de manière corporelle les situations de travail pour vraiment les assimiler. On est marqués, on « imprime » comme on dit justement dans le langage courant, dès lors qu’on est traversés par des expériences humaines qui nous touchent.

Le recrutement, l’accueil et l’intégration requièrent la plus grande attention. On a qu’une fois l’occasion de faire une bonne première impression… De même, la fin de la période d’essai ne représente en aucun cas une banalité. Lorsqu’elle débouche sur une titularisation, elle mérite d’être célébrée en organisant par exemple un pot scellant officiellement l’entrée dans une communauté.

La fin du parcours RH met en évidence un autre moment clé, le départ. Retraite, démission, rupture conventionnelle… Un départ réalisé en catimini renvoie une image peu flatteuse de l’entreprise à la personne elle-même mais aussi aux autres. On a qu’une fois l’occasion de faire une dernière bonne impression… Dernière ? Pas vraiment. Car le lien avec l’entreprise perdure après le départ : la personne retraitée peut par exemple participer à des actions du type portes ouvertes ; la personne démissionnaire peut revenir après s’être rendu compte que c’est bien dans cette entreprise qu’elle a un rôle à jouer. Ces « revenants » représentent souvent d’excellents ambassadeurs de la marque employeur. Car leur expérience est crédible. Dans une entreprise informatique nantaise soucieuse de la qualité de vie au travail et de l’expérience collaborateurs, un candidat recruté sur dix est un ancien salarié. Quand on vit une expérience positive, on a envie de la retrouver ! Dans cette même entreprise, deux nouvelles recrues sur dix viennent de la cooptation. Quand on vit une expérience positive, on a envie de la partager !

Entre l’arrivée et le départ du collaborateur, la vie au travail mérite elle aussi d’être marquée par des moments forts. L’organisation d’opérations telles que « vis ma vie » semble particulièrement intéressante tant elle permet aux collaborateurs d’avoir une vision plus globale des activités, de mieux comprendre le travail des autres et de se projeter plus facilement dans l’entreprise. Des fiches de poste très détaillées accessibles sur intranet ne remplaceront jamais ce genre d’expérience qui réconcilie le corps et l’esprit.

Les risques d’instrumentalisation de l’émotion

Si le concept marketing d’expérience clients invite à procurer des sensations aux clients, il ne serait guère éthique en RH d’instrumentaliser l’émotion en imposant une sorte de joie corporate construite par mimétisme. Nietzsche parlait de « joie tragique », joie qui revient à aimer la vie sans se mentir ni s’illusionner. Dans l’entreprise aussi, on appréciera sincèrement la vie au travail si l’on a le sentiment que les questions d’organisation et de finalité du travail peuvent sans tabous ni tensions être abordées et traitées. L’enjeu est donc moins de séduire les collaborateurs que de répondre à leur quête légitime et grandissante de sens au travail.

Malgré son rôle important joué dans l’expérience collaborateurs, l’émotion ne doit pas être recherchée pour elle-même mais considérée comme la résultante possible d’actions donnant du sens au travail et humanisant le fonctionnement de l’organisation. Interrogé sur ce qui l’a marqué après une quinzaine d’années passées dans une PME, un opérateur a spontanément évoqué l’organisation hebdomadaire d’un petit déjeuner avec le chef d’atelier et l’équipe. Pourquoi ? Parce que c’était l’occasion de faire le point sur le travail dans une atmosphère conviviale. L’alchimie gagnante résidait dans la présence de trois ingrédients : l’authenticité, la convivialité, la discussion sur le travail.

La multitude de moments de vérité qui jonchent un parcours RH représentent autant d’occasions de renforcer l’engagement et l’attachement des collaborateurs à l’entreprise. Prêter attention à ces moments, avec ce souci permanent de mettre en discussion les conditions nécessaires pour réaliser un travail de qualité, c’est non seulement toucher le cœur de l’expérience collaborateurs mais aussi consolider et crédibiliser le socle de la marque employeur.


(1) Pine J. and Gilmore J. (1999), The Experience Economy, Harvard Business School Press.

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