Pendant le mois d'août, nous publions à nouveau quelques-uns des articles les plus lus de l'année


Chapitre 3 : Concentration et perception, deux pistes d’action pour la DRH

Dans les deux premières parties de cette tribune (Voir chapitre 1 / Voir chapitre 2), nous avons évoqué les 3 défis qu’affronte la DRH – guerre de l’image, guerre des talents, guerre de l’attention – puis suggéré un changement d’« R » pour la fonction RH, pour adopter plus résolument celui des Relations Humaines. Ce troisième volet est celui du passage à l’acte : comment s’y prendre ? Deux leviers complémentaires sont à mobiliser pour y parvenir : concentration et perception. Rien à voir avec la méditation transcendantale ! On parlera ici de recentrage sur le cœur de métier d’une part, de marketing RH d’autre part.

La RH : une tâche Herculéenne

On pourrait se demander parfois si les praticiens de l’organisation n’ont pas défini la DRH en creux : en faisant entrer dans la fonction RH tout ce qui ne trouvait pas de place ailleurs. Aucune autre direction de l’entreprise n’est aussi diverse. Quel rapport entre la paie, la formation, la gestion des absences, les contrats de travail, le recrutement, le dialogue social ?... Chacun de ces métiers fait appel à des expertises et à des outils très spécifiques. Chacun évolue dans un environnement légal et technologique très complexe et qui lui est propre.

Le point commun entre tous ces domaines est cependant évident : c’est l’Humain, dans toutes les étapes de son parcours dans l’entreprise. En réalité, la RH est tout le contraire d’un fourre-tout, elle est le cœur de l’organisation, presque au sens anatomique du terme : c’est elle qui gère la circulation des femmes, des hommes et des compétences au sein de l’entreprise. Ce qui fait sa cohérence, ce n’est pas une fonction technique particulière, mais son objet : l’humain et les relations humaines. Il est donc parfaitement logique qu’elle articule des métiers aussi différents.

Pour autant, la tâche est-elle réalisable ? Le « H » de DRH ne serait-il pas celui d’ « Herculéen » ?

Dans notre chapitre précédent, nous constations que la fonction RH se faisait accaparer par la gestion des risques au quotidien, repoussant aux calendes grecques ses missions plus nobles et plus contributives à la performance de l’entreprise. On peut le comprendre : si on ne prend que les cinq dernières années, il aura fallu gérer deux grandes réformes du travail (loi El Khomri et ordonnances Pénicaud), deux grandes réformes de la formation (2014 et 2018), deux réformes du dialogue social (loi Rebsamen et, encore, ordonnances Pénicaud), deux bouleversements de la paie (DSN et prélèvement à la source), une remise à plat de la confidentialité des données (RGPD)… Sans mentionner le flux continu de changements légaux et réglementaires intervenus sur tous ces fronts. En France, plus de cent évolutions légales et jurisprudentielles affectent le bulletin de paie chaque année !

Et quand elle a fini de serrer la dernière vis juridique de la journée, la DRH doit encore vérifier que les innovations technologiques RH déployées fonctionnent correctement, sont acceptées et appropriées par les collaborateurs et ne doivent pas déjà faire l’objet d’un remplacement, d’une évolution fonctionnelle, du déploiement d’une nouvelle brique de SIRH.

Pour une fonction RH épurée

Face à ce risque d’accaparement par la gestion du risque et de dispersion entre des tâches hétéroclites, il y a la possibilité du recours à l’externalisation. Cette option n’est pas nouvelle : la plupart des entreprises font appel à des partenaires pour tel ou tel aspect de la fonction – la paie, le recrutement, la formation.

Mais ce n’est pas la seule option : la DRH pourrait également choisir de se délester volontairement de ses dimensions techniques, administratives et juridiques au profit d’autres directions de l’entreprise. Confier le juridique à la direction juridique, la paie, l’administration et le déclaratif à la direction administrative et financière… Tout en s’entourant de partenaires performants pour gérer le développement des compétences, la sélection des candidats, l’évaluation, la communication interne, etc.

N’y a-t-il pas un risque de voir la RH disparaître, une fois son contenu technique réparti entre d’autres acteurs ? La stratégie RH ne va-t-elle pas se retrouver remontée à la direction de l’entreprise, qui prendra des décisions lapidaires en prenant distraitement conseil d’un DRH transformé en vague conseiller social ? Nous ne le croyons pas. Il ne s’agit, en somme, que d’appliquer globalement à la fonction RH, dans toute sa diversité, la logique de l’externalisation – que celle-ci renvoie à des partenaires externes ou internes à l’entreprise.

Pourquoi externalise-t-on ? Pour confier à des experts les missions qui seront mieux réalisées par eux. Il s’agit des activités dont on attend uniquement qu’elles soient bien exécutées, afin de ne pas pénaliser l’entreprise. Et afin de pouvoir se concentrer sur le cœur de métier, celui qui apporte la véritable valeur ajoutée.

En clair, la DRH articule aujourd’hui deux types d’activités :

  • d’un côté, des missions risquées mais sans valeur ajoutée, et qui peuvent s’avérer pénalisantes si elles sont mal exécutées ;
  • de l’autre, des missions à forte valeur ajoutée, représentant de vrais leviers de performance et d’utilité.

Nous proposons aux DRH de confier les premières à d’autres acteurs – internes ou externes, et de se concentrer sur les secondes.

Animer et coordonner ces missions RH essentielles que sont l’attractivité de l’entreprise, la fidélisation, le développement des compétences, la relation avec les partenaires sociaux, l’appui aux managers pour susciter l’engagement des collaborateurs – tel devrait être le contenu d’un nouveau « Core HR », une expertise des relations humaines reconnue par toutes les composantes de l’entreprise. Mais pour imposer cette conception de la fonction, la DRH a besoin d’outils : ceux du marketing RH.

Capter l’attention : l’enjeu RH de demain

Nous le disions dans la première partie de cette tribune : la fonction RH fait face, comme l’ensemble de l’économie, à une guerre de l’attention, à une compétition féroce pour capter « le temps de cerveau disponible ». Elle y est confrontée à tous les niveaux :

  • Dans l’entreprise, elle lutte pour attirer l’attention des autres directions et services sur l’importance et la spécificité de sa fonction ;
  • Dans l’exercice de cette dernière, elle lutte pour attirer l’attention des candidats au recrutement, des collaborateurs et des managers, afin de susciter fidélisation et engagement… C’est la guerre des talents.

Les outils et compétences du marketing RH sont de nature à accompagner la DRH dans ses missions, et donc à asseoir sa légitimité tant auprès des salariés que de la hiérarchie. Ils confèrent à la fois une méthodologie, une posture et une assise à la fonction. Ils l’aident à percevoir son entourage, en lui donnant de la visibilité et en structurant les échanges ; et ils l’aident à être perçue à son tour.

La fin et les moyens

La mallette du marketing RH n’a pas de double fond : ce n’est pas un accessoire de magicien. Elle contient d’abord un positionnement : celui qui consiste à considérer les parties prenantes de la DRH comme des clients. Non pas pour la beauté du geste, mais en vertu de l’efficacité des outils marketing utilisés pour s’adresser aux clients de l’entreprise, outils qu’il s’agit d’adapter au contexte spécifique des relations humaines dans l’organisation.

En quoi ces outils sont-ils pertinents ? Surtout, en quoi sont-ils utiles au recentrage que nous proposons sur le « R » de « relations humaines » ? Quelques mots s’imposent à ce sujet.

Historiquement, le « H » de DRH est un moyen, et non une fin. La fonction de la RH est de fournir à l’entreprise les moyens humains de sa performance. C’est là le nœud de son ambiguïté : elle est le lieu où se noue et se développe la relation d’intérêt réciproque entre l’entreprise et l’individu.

Les libéraux d’antan avaient facilement théorisé cette relation sous la forme d’un contrat entre deux êtres égaux : l’individu apporte sa force de travail, l’employeur le rémunère, et tout le monde est content. Les marxistes, ainsi que toute personne dotée d’une paire d’yeux, ont souligné par la suite la fréquente asymétrie entre les deux parties. Le Code du travail est venu fixer les nécessaires contrepoids. Mais aujourd’hui, l’équation se complique : pour améliorer sa performance, l’entreprise attend du collaborateur qu’il soit « engagé ». Le salaire ne suffit donc plus à solder la relation entreprise/salarié. Et la DRH se retrouve avec la tâche délicate d’expliquer à des individus majeurs et vaccinés qu’elle voit en eux une formidable richesse, tant que l’entreprise fait du chiffre.

"Agis de telle sorte que tu traites l'humanité comme une fin, et jamais simplement comme un moyen" : l’impératif pratique de Kant réconcilie assez facilement, en théorie, les contradictions de la DRH. Le terrain, cependant, réclame des réponses plus concrètes. Le marketing RH en est une.

Marketing RH : les Portes de la Perception

Pourquoi ? Non pas, comme pourraient le penser les cyniques, parce qu’il permettrait de « vendre » l’entreprise à des collaborateurs qui n’en veulent pas particulièrement. Mais parce que sa panoplie d’outils a pour première fonction l’écoute, la perception des attentes du marché – en l’occurrence, celles des collaborateurs de l’entreprise et celles des candidats au recrutement.

La démarche marketing RH comporte ainsi quelques étapes indispensables :

  • La démarche commence par l’écoute et l’analyse – qualitative et quantitative – du marché. On identifie et on évalue les attentes, les besoins, les frustrations, les irritants… L’objectif sera d’y répondre dans le cadre du business model de l’entreprise, avec ses ambitions, ses moyens, ses contraintes.
  • Ensuite, les clients RH cibles sont répartis en différents segments : les candidats, les managers, les salariés – divisés à leur tour en sous-segments, tels que les jeunes collaborateurs, les salariés en contact avec les clients, etc.
  • La DRH envisage l’ensemble des interactions des cibles avec l’entreprise dans des termes systémiques, ceux de l’expérience : expérience candidat, expérience collaborateur, expérience manager. Calquée sur la notion d’expérience client, l’expérience collaborateur désigne ainsi l’ensemble des ressentis du collaborateur vis-à-vis de sa situation travail au sein de l’organisation.
  • La marque employeur synthétise enfin l’ensemble des caractéristiques de l’entreprise considérée en tant qu’employeur, vis-à-vis de l’interne comme vis-à-vis de l’extérieur. Elle est en quelque sorte le véhicule, l’expression de la promesse RH de l’entreprise.

La finalité du marketing RH n’est pas de distribuer des prospectus à la gloire de l’entreprise dans les boîtes aux lettres des clients de la DRH. Son efficacité requiert au contraire une grande sincérité et une bonne connaissance de soi. Sa résultante, la marque employeur, ne doit pas sur-vendre l’entreprise, mais proposer un projet RH à la fois ambitieux et réaliste.

La QVT, la gestion des parcours, l’offre de formation prennent place parmi les différents services proposés par la DRH pour atteindre ce but. Ces services, elle les conçoit en interaction avec les cibles. Elle les évalue et les fait évoluer, dans un cycle, caractéristique de la démarche marketing, analyse àconception de solution àmise en œuvre àévaluation àanalyse.

Avec cette panoplie, bien utilisée, la fonction RH peut apporter à l’entreprise ce qui lui manque : le sens de sa différence RH. Au milieu des mutations que nous traversons (digitalisation, intelligence artificielle, mondialisation) elle peut fournir ce supplément d’âme qui fait de l’entreprise une aventure humaine unique. David Bowie disait « je suis 100% artiste quand je crée, 100% commercial quand je me vends ». L’entreprise peut et doit être 100% humaine dans ses RH, et 100% business dans sa quête de performance. C’est à la fonction RH de le démontrer.

L’organisation du XXIe siècle n’a pas fini de se transformer. Le nombre d’enjeux que les entreprises doivent relever et coordonner ne fait que croître. De nouveaux impératifs et paradoxes sociaux, juridiques et écologiques vont s’imposer à elle de plus en plus directement. Comment gérer l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise étendue, du freelance au manager en passant par l’ensemble des salariés, dans le respect du droit, de l’éthique, de l’environnement, et des aspirations de chacun ?

La DRH a l’effrayant privilège d’être située au cœur de ces transformations, et d’en être la cheville ouvrière. Il lui faut à tout prix se défaire des tâches techniques reproductibles au profit de ceux qui en sont les experts, afin d’avoir les mains et le cerveau libres d’affronter cette redoutable complexité. Les outils du marketing RH l’aideront à structurer sa démarche, à asseoir sa crédibilité et à entrer pleinement dans l’avenir. Le client de la DRH ne peut être que le Code du travail ! Il faut entrer en empathie active, en résonnance avec le monde contemporain, écouter et ressentir, avec outils et méthode, pour mieux servir les attentes des salariés et les intérêts de l’entreprise.

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