« PACTE » signifie « plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises ». Il a été définitivement approuvé par le Parlement français le 11 avril 2019. Ses premiers articles revendiquent une « libéralisation » des entreprises par la simplification des démarches à effectuer pour en constituer une. Nous allons nous intéresser à l'article 61 qui a un impact sur le Code Civil à propos de concepts nouveaux qui vont être portés par les entreprises et dont la presse s'est fait l'écho avec ferveur mais pas forcément avec clarté. Tout en ayant en tête que si par exemple je gère mes relations avec mon épouse et nos enfants selon les préceptes de ce Code Civil, ceux-ci en font fi (ignorent la loi) et me considèrent comme un charlot. Cette loi PACTE modifiant le Code Civil serait-elle donc comme « pisser dans un violon » si les citoyens se moquent de ce qu'il raconte ?

Cet article 61 établit que l'article 1833 du CC (Code Civil) va être modifié par l'ajout d'un aliéna stipulant que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. » Jusqu'à présent le CC ne disait que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés. » Nous voyons donc se créer une relation morale entre les associés constituant une société et sa gestion qui porte sur un intérêt social allant au-delà d'un simple intérêt financier. Non seulement l'objet de la société doit être licite, mais de surcroît elle doit tenir compte des enjeux sociaux et environnementaux. Que va-t-il en être de ces sociétés qui sont des nœuds de contrats sans salariés ni locaux, des « boîtes aux lettres » ? Par ailleurs « l'enjeu » ayant pour définition ce qu'on peut gagner ou perdre dans une entreprise, il apparaît clairement une notion de risques dans la constitution d'une société, qui devient alors reconnu comme une opération avec des dangers, des écueils causant un naufrage, et donc une nécessité de pouvoir s'assurer auprès d'un assureur contre ces risques. En termes de gestion de l'épargne investie en bourse, cela peut changer bien des choses car ces assureurs pourraient vouloir connaître plus précisément les risques de leurs clients qu'ils couvriraient ainsi.

Ensuite cet article 61 ajoute à l'article 1835 du CC que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » Jusqu'à présent il n'était dit que les statuts « déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l'objet, l'appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement. » Nous voyons alors ce concept de principes s'y ajouter, de cause efficiente à l'origine de cet être moral, raison de son existence, d'une vérité sur laquelle vont s'appuyer les raisonnements ultérieurs. Mais les action­naires ont-ils assez de notions philosophiques pour discerner ce qu'est un principe, une raison d'être ? Dans le cas de notre participant Tristan Bitsch, cette cause efficiente pourrait être son constat de lacunes culturelles en termes de savoirs et science autour du développement durable qu'il convient selon lui de remédier en vue d'une société plus sage. Mais alors qu'en est-il si ce principe se révèle insuffisant à la raison d'être de sa société et que celle-ci n'arrive pas à croître ?

Enfin l'article 61 septies modifie lui le Code du Commerce et des Sociétés en permettant de publier officiellement que la société peut être à mission, pour autant qu'elle remplisse ces conditions : avoir une raison d'être, donc un principe causal, et que ses statuts « précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité. » En métaphysique aristotélicienne nous pourrions dire qu'elle a une cause motrice et une finalité, une entéléchie, visant la société et l'environnement. Ne dirions-nous pas alors qu'elle devient une sorte « d'animal » dans son écosystème, avec une vocation d'apporter une fonction symbiotique à son entourage, et donc qu'il lui faudrait avoir une âme, une psyché ? Ce serait plutôt beau, bien, et juste, donc éthique selon Socrate, mais dans ce cas se présente un nouveau risque, celui des maladies, des atteintes de son environnement auxquelles cette société n'aurait pas de défenses internes pour y subvenir, des pollutions de sa santé, de son intérêt social.

Doit-on alors considérer ces articles de loi comme vœux pieux tels qu'uriner dans un instrument de musique, ou les prendre très au sérieux sur l'éclairage qu'ils apportent aux associations d'action­naires formant une société, généralement commerciale ? Auquel cas comment ces actionnaires vont-ils déléguer à un directeur (ou directrice) la gérant ces missions, principes, et intérêt social, et qu'il (ou elle) va alors décliner sur son personnel selon le principe de la subsidiarité ? Ne va-t-il pas falloir organiser une éducation des employés qui jusqu'alors n'avaient pour fonction que de participer à l'enrichissement de ces actionnaires par le travail qu'ils produisaient ? Le poids de la responsabilité qui se décline sur eux ne se cantonnera plus pour eux à l'occupation d'une fonction économique, mais devra aussi subvenir aux principes de raison d'être de leur entreprise, et veiller à son intérêt social, voire aux objectifs sociaux et environnementaux en cas de société à mission. Leur niveau de salaire va t'il être revu en conséquence pour tenir compte de leur nouveau rôle à tenir ? Car le principe de subsidiarité veut que l'échelon le plus proche d'un problème s'en occupe seul et ne requiert l'aide d'un échelon supérieur qu'en cas d'incompétence à le résoudre. Par quelle méthode va-t-il falloir s'y prendre pour effectuer un découpage cartésien en sous-problèmes administrables par un employé des nouvelles définitions d'une société ?

André Comte-Sponville explique que la vertu n'a jamais enrichi quelqu'un, sauf ceux qui prêchent l’accroissement de la moralité, avouant indirectement qu'il est l'un d'eux. Cet article 61 de ce PACTE aurait-il comme but inavoué de permettre l'émergence de conseillers philosophiques aidant les dirigeants d'entreprises à s'en sortir avec ces nouvelles normes d'établissement d'organisations commerciales ?


http://www.assemblee-nationale.fr/15/ta/ta0244.asp

https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI00...

https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI00...

Tags: Projet d'entreprise