NDLR : Ce texte, reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur, a déjà été publié par la revue Personnel : http://www.andrh.fr/services/la-revue-personnel.
Les leçons d’un mouvement historique face à la barbarie
Le début de l'année 2015, marquée par le double événement tragique de Charlie Hebdo et du supermarché Cacher de la Porte de Vincennes, a été un temps de rassemblement inconnu depuis longtemps comme l’ont montré les exceptionnelles manifestations qui ont réuni au plan national plus de 4 millions de personnes le dimanche 11 janvier ou la Marseillaise interprétée par les députés tous debout dans une belle unanimité dans l’enceinte prestigieuse de l’Assemblée Nationale le mardi 13 janvier. Au-delà des différences et des clivages partisans, c’est la volonté exprimée par tout un peuple qui est remarquable de se lever contre toutes les barbaries et pour la défense de la liberté.
Face à ce mouvement que tous les observateurs, en France et à l’étranger[1], ont qualifié d’historique, on peut s’interroger sur les implications pour l’entreprise et en particulier les enseignements que les DRH peuvent retirer de l’expression de cette solidarité collective. Dans l’entreprise, en effet, les clivages existent avec l’émergence des inévitables silos qui sont souvent le résultat de spécialisations excessives répondant à un besoin d’une nécessaire différenciation comme l’ont montré il y a près de 50 ans les théoriciens de la contingence Lawrence & Lorsch[2]. Or ces théoriciens ont mis en évidence le fait que, face à une nécessaire différenciation de plus en plus marquée entre les fonctions, les départements, et autres entités de l’entreprise, il était vital de développer simultanément ce qu’ils ont appelé « l’intégration ». Les DRH peuvent trouver ici une source essentielle de leur légitimité en devenant des acteurs moteurs de l’intégration par le rassemblement des collaborateurs dans le respect de valeurs communes, le développement de structures transversales et la mise en œuvre de processus communs et appropriés par les acteurs. Dans cette perspective, le DRH pourrait alors assez rapidement jouer un nouveau rôle : celui de Directeur du Rassemblement Humain.
Rassembler par le respect des valeurs communes
Il est devenu banal de souligner que les DRH sont aux premières loges pour être les promoteurs et les gardiens des valeurs de l’entreprise mais ce qui est en jeu ici est de mettre en évidence le fait qu’ils ont une responsabilité essentielle dans le développement du « vivre ensemble » tout en respectant les différences liées aux origines, aux âges, au genre et à toute autre forme de diversité. Les situations sont, à l’évidence, très différentes d’une entreprise à une autre mais il n’en reste pas moins que certaines valeurs clés peuvent être considérées comme des facteurs qui distinguent l’entreprise de ses concurrents mais surtout qui lui permettent de créer l’indispensable « ciment » intangible qui réunit tous les collaborateurs autour d’une vision et d’un projet. Le DRH se voit investi d’une responsabilité redoutable qui est celle d’identifier avec l’équipe dirigeante et d’autres collaborateurs les valeurs le plus susceptibles de rassembler les différentes parties prenantes et surtout de s’assurer que ces valeurs communes soient effectivement traduites dans les faits notamment dans les attitudes et comportements des managers. Il devra, en particulier, sans doute aligner – ou réaligner – les pratiques de management de la performance et certaines dimensions clés de la rétribution.
Rassembler par le développement de structures transversales
Ici encore on pourra objecter « qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil » en arguant que le DRH a aussi potentiellement depuis longtemps des prérogatives sur le plan de l’organisation même s’il a souvent du mal à les assurer[3]. Mais ce qui peut représenter un nouveau défi pour lui(elle) est la nécessité croissante de pouvoir imaginer et mettre en œuvre des formes organisationnelles qui rassemblent les différentes entités de l’entreprise. On pourra penser à toutes les modalités de structures transversales qui ont vu le jour depuis plusieurs décennies : structures matricielles, groupes projets, task forces, équipes virtuelles, réseaux formels (et informels), et autres communautés de pratiques. La responsabilité du DRH est de faciliter la création et la réussite de ces structures transversales qui rassemblent des individus et des entités dans une logique de coopération beaucoup plus marquée que par le passé. Dans cette perspective, l’apport de la révolution digitale devrait faciliter la tâche du DRH pour peu qu’il (elle) puisse comprendre et se saisir les opportunités que lui offrent, entre autres, les réseaux sociaux d’entreprises et les divers outils numériques collaboratifs[4]
Rassembler par des processus communs et appropriés par les acteurs
Il est certain que l’un des moyens les plus puissants à la disposition du DRH pour rassembler les collaborateurs et les différentes entités de l’entreprise est de mettre en œuvre des processus communs les obligeant souvent à abandonner des pratiques locales qui ont pourtant, la plupart du temps, démontré leur efficacité. L’exemple de la mise en œuvre des ERP (Enterprise Resource Planning) RH dans les années 1990 et 2000 est suffisamment parlant pour illustrer l’enjeu stratégique que représente la mise en œuvre des processus communs et ceci dans un contexte d’internationalisation croissante des activités de l’entreprise. Mais ce qui est crucial pour que le DRH puisse réussir le rassemblement des collaborateurs et des entités par la mise en œuvre des processus communs c’est leur degré d’appropriation par les acteurs concernés. Rien ne serait plus préjudiciable que d’imposer ces processus dans une logique bureaucratique telle qu’elle a été dénoncée il y a quelques années par François Dupuy[5]. Le rôle de rassembleur du DRH envisagé ici devrait s’appuyer sur la capitalisation des bonnes pratiques pour pouvoir les généraliser dans le cadre des processus communs. La démarche de mise en œuvre serait ainsi simultanément « bottom-up » et « top-down » permettant ainsi une meilleure appropriation par les collaborateurs et les entités.
Un choc émotionnel au service du nouveau rôle de rassembleur du DRH
Les événements tragiques du début 2015 ont constitué un véritable choc émotionnel pour l’immense majorité des collaborateurs des entreprises qui ont vu des assassins perpétrer un crime sur un lieu de travail – la salle de rédaction du journal Charlie Hebdo - et un autre dans un lieu ordinaire de la vie hors travail – un supermarché – sans compter ceux commis à l’encontre des fonctionnaires de police dans l’exercice de leur mission de protection des personnes. Les actes de solidarité se sont alors multipliés dans les entreprises et peuvent constituer le fondement d’un rôle nouveau du DRH orienté vers le rassemblement des collaborateurs pour redonner au « collectif » ses lettres de noblesse dans un contexte qui, depuis plusieurs décennies, a vu une montée de l’individualisme avec sa traduction dans l’entreprise par la personnalisation excessive des relations humaines symbolisé par un livre récent « Workforce of One »[6].
[1] Voir, par exemple, « The Economist » dont de numéro daté du 10 au 16 janvier 2015 a une page de garde noire avec un poing serrant un crayon ensanglanté et avec un titre en Français écrit à la main «7 janvier 2015 »
[2] Lawrence, P. R., & Lorsch, J. W. : Organization and Environment: Managing Differentiation and Integration. Boston: Harvard Business School Press, 1967
[3] Eyssette F. & Besseyre des Horts, CH. : Comment la DRH fait sa révolution, Eyrolles, 2014
[4] Enlart S. & Charbonnier, O. : A quoi ressemblera le travail demain ? Dunod, 2013
[5] Dupuy, F. Lost in Management , Le Seuil, 2011.
[6] Cantrell, S. & Smith, D .: Workforce of One, Harvard Business Press, 2010